Édito
La leptospirose est une maladie identifiée depuis plus d’un siècle à travers toutes les régions du monde mais qui reste à ce jour peu surveillée voire négligée, d’où une sous-notification des cas. Les épisodes d’épidémies observés lors de manifestations climatiques exceptionnelles amènent les organismes internationaux à se pencher sur cette pathologie qui peut être un problème de santé publique dans certaines régions. La France, de son côté, n’est pas en reste puisque nous sommes le pays industriel déclarant le plus de cas de leptospirose avec plus de 600 cas déclarés chaque année.
De nouvelles souches sont régulièrement découvertes, avec des profils de gravité variés qui peuvent aller jusqu’à 5 à 20% de mortalité en fonction des conditions locales (zone, plan de gestion des eaux, habitudes de vie…).
C’est dans une volonté d’informer et de communiquer sur une zoonose trop souvent sous-estimée et potentiellement grave, que nous éditons cette 1èrelettre d’information sur la leptospirose à destination du corps médical des services de santé au travail et des services de prévention.
Alexandre LE VERT, Directeur Général IMAXIO
600 cas annuels
en France (2)
Références bibliographiques :
(1) http://www.who.int/water_sanitation_ health/diseases/leptospirosis/ fr/
(2) Rapport d’activité – années 2006 à 2010, édité par le centre national de référence de la Leptospirose. Institut Pasteur de Pris
(3) Soares and al, Spatial and seasonal analysis on leptospirosis in the municipality of Sao Paulo, Southeastern Brazil, 1998 to 2006. PLOS Neglected Tropical Diseases, April 2008, Volume 2, Issue 4
(4) B.Reis & al, Impact of environment and social gradient on Leptospira infection in urban slums. Rev Saude Publica, 2010; 44(2)
(5) Rapport du groupe de travail du Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France: Nouvelles recommandations relatives à la prévention du risque chez les personnes exposées à la leptospirose. 18 mars 2005
(6) J.Stern & al, Outbreak of Leptospirosis among adventure race participants in Florida, 2005. CID 2010:50 (15 March) – 843 – 849
(7) P.Hochedez & al, Outbreak of leptospirosisi after a race in the tropical Forest of Martinique. The Am. J. Med. Hyg., 84(4).2011, pp.621-626
(8) http://www.anses.fr/index.htm
Une zoonose à répartition mondiale
Animaux, hommes, zone rurale, zone urbaine, la leptospirose est une maladie infectieuse à répartition mondiale1. On évalue chaque année à 500 000 le nombre de cas sévères avec une létalité comprise entre 5% et 20%2 en fonction des zones géographiques, des plans de gestion de l’eau et des habitudes de vie des populations.
Les animaux ont un rôle clé dans la distribution de la maladie. Les rongeurs, porteurs sains, peuvent contaminer par contact direct leurs congénères lors de la reproduction ou toutes autres espèces animales par contact avec les urines contaminées. On parle de contact indirect, lorsque la contamination s’opère dans un environnement souillé par la bactérie (eau douce des rivières, flaques, cours d’eau, boues…).
Les cas de transmission interhumaine ne se produisent que rarement1. La contamination chez l’homme se fait principalement par contact indirect avec une eau souillée, lors d’une activité professionnelle, sportive ou récréative (canoë-kayak, pêche, baignades…). La proximité des populations avec les réservoirs est un facteur d’autant plus aggravant. A ce titre l’urbanisation galopante, mal contrôlée et les critères socio-économiques peuvent avoir un impact sur l’incidence de la leptospirose. Plusieurs études réalisées au Brésil3,4 ont démontré que les populations ne bénéficiant pas d’un approvisionnement en eau et d’un réseau d’égout étaient beaucoup plus exposées à la leptospirose que dans les zones résidentielles. Ce phénomène est d’autant plus accentué lors des saisons à fortes précipitations où les sols lessivés par les eaux de pluie entraînent les bactéries vers les cours d’eau, lacs… et donc les zones d’habitation. La contamination est d’autant plus importante que les populations défavorisées ne sont pas équipées de vêtements ou de chaussures adaptés à une bonne protection. Ainsi, dans les régions tropicales ou subtropicales, l’incidence peut être 100 fois plus élevée que dans les régions tempérées (incidence chez l’homme : 100 pour 100 000 habitants par an sous les tropiques humides)2. En zone tempérée, le risque est bien réel mais méconnu à cause notamment d’absence de structure de surveillance. En France, le Centre National de Référence des Leptospires au sein de l’Institut Pasteur, analyse chaque année entre 3000 et 4000 sérums pour le diagnostic de la leptospirose. Nous sommes le pays industrialisé où l’on déclare le plus de cas de leptospirose humaines avec près de 600 cas annuels dont la moitié sont diagnostiqués dans les DOM-TOM2. Mais ce chiffre ne représente qu’une partie des cas de leptospirose puisque les signes cliniques sont non spécifiques et peuvent évoquer d’autres pathologies comme la grippe saisonnière, la dengue ou encore le Chikungunya (forte fièvre, myalgies, céphalées, nausées…)ou des cas de leptospirose de formes bénignes non référencées.
Les activités à risque sont variées. Dans leur rapport de 2005, le Conseil Supérieur d’hygiène publique de France5 identifie les activités professionnelles les plus à risque parmi les cas de leptospirose enregistrés de 1988 à 2003 : agriculture ou élevage (54,7%), égout ou voirie (14,5%), bâtiments et travaux publics (13%), boucherie ou abattoirs (5,4%)… ou en fonction des activités de loisirs : baignade (30%), pêche (18%), canoë-kayak (8%)…
Des cas groupés ont été observés lors de manifestations sportives, dans le cadre d’une exposition ponctuelle. En 2005, lors d’une course aventure en Floride6, des formes de leptospirose ont été suspectées chez 23% des athlètes parmi les 200 participants. Mais aussi en 2009, lors du Tchimbé Raid de Martinique7, 20 coureurs parmi les 230 au départ ont contracté une leptospirose, dont 5 cas ont développé des formes plus sévères nécessitant une hospitalisation.
Les principaux facteurs de risque identifiés sont les pluies diluviennes intervenues quelques jours avant chacune de ces manifestations sportives, les plaies cutanées des coureurs et l’ingestion d’eau de rivière lors de la course. De fait, la saisonnalité joue un rôle important dans la distribution de la maladie. On observe en métropole un phénomène similaire avec un pic des cas de leptospirose d’août à octobre2, période où les températures sont les plus élevées, les activités nautiques plus nombreuses et le port des équipements de protection individuelle moins respecté.
L’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail (ANSES), estime que la leptospirose est l’une des 6 maladies les plus susceptibles d’être affectées par les modifications climatiques en France8.
Interview
Prof. Geneviève
ANDRE-FONTAINE
Doctory Vetenary Medecine
Ecole Vétérinaire de Nantes
Les Mammifères sont sensibles à cette bactérie. Existe-t-il des différences de sensibilité entre les espèces ?
Geneviève ANDRE-FONTAINE. On parle de la sensibilité d’une espèce à une infection si cette infection provoque l’apparition de symptômes chez les individus de cette espèce. Le tableau clinique général est caractéristique de cette espèce, ce qui n’exclue pas des différences de sensibilité individuelle (en fonction du sexe, de l’âge etc..). Les leptospires sont capables d’infecter toutes les espèces de Mammifères. Mais ceci a des conséquences très variables d’une espèce à l’autre.
Ainsi, chez l’Homme et le Chien, l’infection conduit (en 5 à 20 jours) à une maladie polysystémique aiguë voire suraiguë souvent létale en l’absence de traitement. En revanche, les animaux d’élevage (porcs, bovins, chevaux…) développent des symptômes généralement limités à des troubles de la reproduction alors que le Chat ne développe pas de leptospirose clinique caractérisée. La différence de sensibilité des espèces existe donc au sein des espèces domestiques. On retrouve également tous les degrés de sensibilité pour les espèces (et familles zoologiques) de la faune sauvage.
L’eau douce joue un rôle prépondérant dans le schéma de contamination. Les eaux de baignades sont régulièrement testées pour en déterminer la qualité, recherche-t-on les leptospires ?
GAF. Le risque est minoré si les leptospires sont exposés au soleil (UV) mais les zones ombragées constituent un risque. Les contrôles usuels permettant d’apprécier la qualité bactériologique des eaux de baignades ne permettaient pas de mettre en évidence les leptospires et donc leur présence n’est pas recherchée. Mais actuellement le développement d’outils récents de la biologie moléculaire peut mettre en évidence la présence de ces bactéries particulières.
Mais on ne peut actuellement définir une concentration constituant un danger de contamination. En effet, la dose infectieuse dépend de la virulence de chaque souche sauvage et des facteurs individuels des hôtes potentiels. Le danger est présent mais le risque ne peut être mesuré.
Considérez-vous la leptospirose comme une zoonose en réémergence ?
GAF. Parler de réémergence sous-entend que cette zoonose aurait temporairement disparu depuis sa découverte au début du XX° siècle en Europe (souche Verdun !) et au Japon. Ce qui n’est pas le cas. Les risques de contamination humaine ont été limités par l’évolution des conditions sanitaires. Mais rien n’a modifié la pression infectieuse induite par le portage de la faune sauvage.
Par ailleurs les activités de loisirs se sont développées : activités nautiques, voyages en zone tropicale. L’eau (et la faune sauvage) sont les éléments majeurs du cycle épidémiologique. Les cas de zoonose de loisir ont donc progressé. Par l’évolution de ses activités, l’Homme augmente le risque de contamination pour un danger qui est toujours resté présent dans l’environnement. En revanche, l’évolution climatique, avec réchauffement global est favorable à la survie prolongée des leptospires dans des eaux douces dont celles des zones tempérées moins soumises au gel capable d’inactiver les leptospires. Par ailleurs, l’augmentation des cyclones, inondations etc. sont autant de conditions environnementales favorables à la diffusion des leptospires infectieux. Alors doit-on parler de « réémergence » ou d’évolution épidémiologique ?
Voies Navigables de France, quel plan de gestion des risques leptospirosiques ?
Les Voies Navigables de France (VNF) gèrent, exploitent et développent 40 000 hectares de domaine public fluvial en France. A ce titre la leptospirose fait partie de leur préoccupation quotidienne. En effet le contact direct de l’eau et le voisinage des rongeurs, vecteurs potentiels de la maladie, fait de cet environnement une zone d’exposition pour certains salariés des VNF comme les éclusiers, plongeurs, agents de maintenance, etc.
Ainsi, sur le secteur Sud Est, ce sont une centaine de personnes travaillant en bord des voies d’eau qui sont concernées et une campagne de sensibilisation a été mise en place depuis 2008. Pour Sylvain ROBIER, Chef du bureau Sécurité Prévention de la région, la prévention passe avant tout par une bonne communication : dès la visite médicale d’embauche les agents exposés sont informés du risque de contamination par le médecin du travail, voire vaccinés si l’exposition le nécessite. Il s’agit bien souvent d’une découverte de la maladie pour les employés concernés.
La prévention passe avant tout par une bonne communication
Par la suite Mr ROBIER les informe sur les risques lors de la Journée des Nouveaux Arrivants. L’accent est mis sur les voies de transmission et la description des symptômes pour que chaque agent soit attentif en cas de syndrome grippal soudain et parle du risque d’exposition à son médecin traitant. Un rappel est également fait une fois par an, sur chaque site de la région, à l’occasion d’une réunion générale sur le thème de la prévention et de la sécurité au travail. Le rôle des Equipements de Protection Individuel est particulièrement souligné et suivi, au même titre que les mesures d’hygiène (ex : utilisation des douches portatives mises à la disposition des agents).
En effet, avec les années, l’appréciation du risque de contamination tend à diminuer. Les managers et chefs d’équipes jouent alors un rôle primordial sur le terrain en relayant l’information auprès des agents et en s’assurant du respect des mesures de prévention au quotidien, notamment sur des situations à risque mal appréhendées : utiliser son téléphone portable, fumer ou manger sur son lieu de travail. C’est pourquoi ils sont sensibilisés au même titre que les agents.
Agenda :
8 novembre 2012 à Lille
½ Journée d’informations sur la leptospirose
14 décembre 2012 à Toulouse
Journée de la Société de Médecine du Travail de Midi-Pyrénées
Congrès Secours Santé
29, 30 et 31 mai à Lille
32ème Journées nationales de Santé
au Travail dans le BTP
13 et 14 juin 2013 à Lyon
Journées franco-suisses