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La Leptospirose

Une maladie infectieuse sous estimée et potentiellement grave

Regards sur la Leptospirose n°13

Sophie Fantoni-Quinton,

Professeur des Universités, Praticien
Hospitalier, Docteur en Droit,
Université de Lille 2 / CHRU Lille

Fonction publique et prévention : quelle responsabilité de l’employeur public ?

En mars 2016, la DARES (Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques) publiait un numéro relatif à la prévention des risques professionnels et, notamment, aux mesures mises en oeuvre par les employeurs publics et privés. Le constat est sans appel, les stratégies de prévention des risques professionnels ont été moins actives dans la fonction publique. Seulement 50% des établissements, toutes fonctions publiques confondues, ont déclaré avoir élaboré ou révisé leur Document Unique d’Evaluations des Risques (DUER), corollaire nécessaire à la mise en oeuvre des stratégies de prévention.

« Si l’employeur public

n’a pas mis en place

les moyens de prévention adéquats,

on lui reprochera un manquement

à l’obligation de sécurité de résultat »

Interview – Sophie Fantoni-Quinton : Professeur des Universités, Praticien Hospitalier, Docteur en Droit, Université de Lille 2 / CHRU Lille

La leptospirose est-elle une préoccupation de la santé-travail intéressant la fonction publique ?

Sophie Fantoni-Quinton. La leptospirose a récemment fait l’objet d’un dossier par le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire BEH (avril 2017) où ses auteurs s’accordent à dire que ce risque est récurrent. On comptabilise de plus en plus de cas de leptospirose malgré l’intérêt relatif porté à cette maladie. Elle fait partie de la liste des agents biologiques de type II c’est-à-dire que ce risque biologique ne nécessite pas de suivi renforcé (comme pour les agents biologiques de type III et IV) mais il nécessite tout de même la mise en place de mesures de prévention adéquate. La DGT (Direction Générale du Travail), suite à la loi du 8 août 2016 et au décret du 27 décembre 2016 modernisant la médecine du travail et les services de santé au travail rappelle bien qu’il n’y a pas de liste de métiers préétablie exposant spécifiquement aux agents biologiques de type II. Ceux-ci se retrouve dans une multitude de secteurs et notamment dans la fonction publique : égoutiers, agents de station d’épuration des eaux, aides à domicile, agents d’entretien des espaces naturels, … En réalité, les agents biologiques de groupe II restent peu connus des services de santé au travail, il faut donc repréciser les recommandations, les bonnes pratiques mais aussi les responsabilités. Sur ce point, la responsabilité des employeurs publics et privés se recoupent même si chaque secteur entretient une spécificité.

Quels sont les risques juridiques et financiers pour l’employeur public ?

SFQ. Il s’agit de s’interroger sur des mises en causes potentielles de la responsabilité de l’employeur public lorsque les mesures de prévention n’ont pas été mises en place. Un manquement à l’obligation de sécurité peut se traduire par la reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur en cas de dommage. L’employeur peut être condamné pénalement pour ne pas avoir mis en place la démarche de prévention, y compris dans le cadre d’une infraction involontaire, notamment en cas de non-respect des préconisations du médecin de prévention. Au-delà de la responsabilité de l’employeur, on peut également interroger celle des services de médecine de prévention, car ce sont leurs conseillers.

Quelle est la responsabilité du médecin de prévention ?

SFQ. Le médecin de prévention est le conseiller de la collectivité sur la prévention des risques professionnels. S’il est défaillant dans cette mission et que l’employeur public est condamné, il peut tenter une action récursoire contre le service de médecine de prévention. Soit il a son propre service, (dans les grandes collectivités locales par exemple) il ne va alors pas se retourner contre le service qu’il finance mais peut mettre en oeuvre une sanction disciplinaire. Soit il a fait appel à un service extérieur et on pourrait imaginer que l’employeur public puisse entamer contre celuici une action en justice. Ainsi, dans le secteur privé, des entreprises ont été condamnées sur le plan pénal parce qu’elles n’avaient pas organisé les visites médicales, la chambre criminelle de la cour de cassation considérant que l’entreprise était responsable. L’entreprise s’est par la suite retournée contre le service de santé au travail. On peut donc imaginer que la responsabilité civile des services de prévention puisse être impliquée.

Comment se caractérise concrètement la prévention des agents biologiques ?

SFQ. Les principes généraux de prévention sont codifiés à l’article L. 4121-2 du Code du travail. L’employeur doit éviter les risques ; les évaluer ; les combattre à la source ; adapter le travail à l’homme ; tenir compte de l’évolution de la technique ; remplacer ce qui est dangereux ; planifier la prévention ; prendre des mesures de protection collectives et individuelles ; donner des instructions appropriées aux travailleurs.

Exemples de mesures individuelles de protection contre les agents biologiques :

• Port de gants, bottes, cuissardes, vêtements protecteurs, de lunettes anti projections • Désinfection à l’eau potable et au savon ou à l’aide d’une solution antiseptique de toute plaie ou égratignure, ainsi que leur protection ultérieure par un pansement imperméable.

• Information à l’embauche, régulièrement renouvelée, ciblée sur la maladie, sur l’importance des mesures de protection individuelle et la nécessité de consulter rapidement un médecin en cas de syndrome grippal

• Les salariés régulièrement confrontés à certains agents biologiques peuvent se voir recommander le vaccin par le médecin de prévention (leptospirose par exemple).

« Il faut donc retenir que l’employeur ne peut en aucun cas obliger son salarié à se vacciner.

En revanche, il a une obligation de sécurité de résultat »

Pour plus d’information :
www.leptospirose-prevention.fr
ou leptospirose@imaxio.com
Cas pratique : Obligation de prévention et place de la vaccination : Retour sur la profession d’égoutier dans la ville de Paris

La profession d’égoutier fait figure de profession à risque en termes d’exposition à la leptospirose. Jusqu’à récemment, il existait une différence significative entre les égoutiers de la Ville de Paris et les égoutiers « de province ». En effet, l’arrêté n°76-739 du Préfet de Paris du 24 Août 1976 relatif au recrutement du personnel ouvrier de la Ville de Paris, faisant, en particulier, obligation aux égoutiers de Paris de se vacciner contre la leptospirose. Cette obligation vaccinale a été reconduite par le conseil de Paris dans sa délibération du 22 janvier 1979.

Un recours a été déposé contre la Mairie de Paris se basant sur le principe jurisprudentiel rendant illégale toute tentative d’imposer un vaccin dont l’obligation n’est pas établie par le législateur. (N.B. On compte actuellement 4 vaccinations obligatoires pour certains professionnels, en plus de celles obligatoire en population générale (hépatite B, tuberculose, grippe et typhoïde).

Finalement, le tribunal administratif de Paris dans son jugement du 27 décembre 2012 indique que « si les dispositions des articles L4121-1 et 4121-2 du code du travail, rendues applicable à la ville de Paris par l’article 108-1 de la loi du 26 janvier 1984 obligent l’employeur à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, elles ne lui donnent aucune compétence en matière d’obligation vaccinale ».

Il faut donc retenir que l’employeur ne peut en aucun cas obliger son salarié à se vacciner. En revanche, il a une obligation de sécurité de résultat, ainsi s’il recommande la vaccination, associée aux autres moyens de prévention, que le salarié tombe malade et cherche à engager la responsabilité de son employeur, il pourra faire valoir d’une part cette recommandation et d’autre part la preuve du refus de vaccination par le salarié.

Références bibliographiques

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