Cyril WARMBERG,
Médecin du travail, exerçant dans le service autonome de Disneyland Paris
Entretien des espaces verts : le risque de leptospirose existe !
Le risque de leptospirose chez les jardiniers-paysagistes semble actuellement en augmentation. Médecin du travail, exerçant dans le service autonome de Disneyland Paris et auteur d’un mémoire de recherche sur ce thème, le Docteur Cyril Warmberg, répond à nos questions.
« Des populations comme les jardiniers sont désormais remontées dans les statistiques de cas déclarés de leptospirose. »
Quelles raisons vous ont conduit à vous intéresser à la leptospirose ?
Cyril WARMBERG. La France est un des pays d’Europe dont l’incidence est la plus élevée, avec un cas pour 100 000 habitants et environ 600 cas dénombrés en 2017. Pendant très longtemps les jardiniers de la destination étaient suivis par la MSA (mutuelle sociale agricole). Lorsque j’ai récupéré leurs dossiers médicaux, j’ai souhaité venir étudier sur place leur poste de travail afin d’observer les méthodes utilisées pour entretenir la végétation de Disneyland Paris. C’est à cette occasion que j’ai constaté qu’ils faisaient face à des situations au cours desquelles ils pouvaient être contaminés par des leptospires. Ainsi, ai-je remarqué qu’ils descendaient dans les bassins pour faire l’entretien des berges, qu’ils avaient accès à des vannes d’eau dans des trappes immergées et que par temps de pluie, ils travaillaient bien souvent dans la boue. Toutes ces conditions sont favorables à une contamination par les leptospires.
Les employés dont vous vous occupez étaientils informés des risques qu’ils encouraient ?
CW. Lorsque je leur ai parlé de la leptospirose, j’ai constaté qu’ils ne connaissaient guère la maladie et n’avaient aucune conscience des risques. De fait, dans la littérature scientifique les jardiniers paysagistes ne font pas partie des professions les plus exposées. Ils se situent en 6ème position, bien loin derrière les égoutiers, les agriculteurs et éleveurs ou les travailleurs du BTP. Mais des enquêtes plus récentes suggèrent qu’aujourd’hui ils seraient à la troisième place. Il était donc important de les sensibiliser à cette maladie.
Vous venez de publier un travail de recherche portant sur ces populations. Votre mémoire rappelle justement que ce risque est en croissance chez les jardiniers-paysagistes. Comment expliquer ce phénomène ?
CW. La leptospirose est reconnue comme maladie professionnelle et inscrite au tableau 19A du régime général de la Sécurité Sociale et au tableau 5 du régime agricole. Les populations qui étaient les plus concernées il y a quelques années bénéficient aujourd’hui d’un suivi très régulier basé sur le port d’équipements de protection (EPI), la modification des processus de travail, et surtout une vaccination préventive. Ces mesures efficaces de prévention ont permis de faire chuter le risque dans ces professions très exposées. Comme ces professionnels sont beaucoup mieux protégés, des populations comme les jardiniers, pour qui le risque a été sous-estimé sont désormais remontées dans les statistiques de cas déclarés.
Une étude épidémiologique menée naguère en Suisse suite à un cas de leptospirose avait établi que 12% des rats présents dans les parcs de Zurich étaient infectés par la bactérie ? L’augmentation du risque est-elle liée au développement de ces populations de nuisibles ?
CW. La leptospirose se contracte au contact d’eau ou de boues souillées par des urines d’animaux, domestiques ou sauvages, affectés par la maladie. Les muqueuses (notamment oculaires) et les plaies, sont la porte d’entrée de la bactérie dans l’organisme. Je ne connais pas le nombre de rats évoluant dans nos parcs, mais il est clair que ce nombre ne cesse d’augmenter. Ceci est vrai tant au niveau des villes que sur notre site. Nous avons d’ailleurs un service dédié à la lutte contre les nuisibles, qui veille à éviter toutes les circonstances favorisant leur développement. Ce service organise des inspections régulières de tous les bâtiments du site et fait des recommandations afin de supprimer les conditions favorisant le développement de ces populations. Nous portons une attention particulière à l’évacuation des déchets, nous veillons à ce qu’aucune nourriture ne traîne. Pour éradiquer ces nuisibles nous n’utilisons pas de produits de dératisation chimiques, mais avons disposé des pièges à rats dans tous les bâtiments.
PROFESSIONS VERTES ET VERDISSANTES :
Les professions vertes et verdissantes, c’està- dire les métiers ayant une finalité environnementale ou dont l’exercice peut être affecté par l’environnement, représentent près de 4 millions d’emplois en France. Ainsi donc, 14,6% des emplois seraient liés de près ou de loin à l’environnement. Outre l’agriculture et l’élevage, on retrouve ces professions dans un panel de secteurs très large, production et distribution d’eau, métiers du bâtiment, transports ou encore sylviculture et entretien des espaces verts. De part leur contact rapproché avec la nature, ces métiers sont plus exposés que d’autres au risque de leptospirose.
« Il est important que les salariés soient conscients du fait que la leptospirose n’est pas une infection banale. »
Quelles autres actions menez-vous ?
CW. Notre entreprise a une importante culture de la prévention ; nous disposons d’un service médical autonome composé de 8 médecins et 13 infirmières pour l’ensemble des 16 000 salariés. Nous avons en outre un grand pôle prévention constitué d’ingénieurs en sécurité du travail qui analysent les risques auxquels sont soumis nos employés. Nos deux pôles mènent ainsi des actions conjointes. Grâce à cette culture de la prévention, nos salariés sont de plus en plus sensibilisés à la maladie.
Comment les employés se protègent-ils ? Ces actions sont-elles suffisantes ?
CW. Lorsque j’ai débuté mon étude, les jardiniers ne se protégeaient pas contre la leptospirose. Et pourtant, mon étude d’observation avait montré qu’ils y étaient exposés… C’est dans ce cadre que nous avons organisé une séance de prévention. Les salariés ont apprécié qu’on les informe et qu’on leur propose des solutions pour maîtriser ce risque.
Quelles actions avez-vous menées et pour quels résultats ?
CW. Concernant les équipements, ils ont tous accepté de changer de modèle de gants et d’opter pour des dispositifs plus résistants et plus protecteurs. Ils ont également volontiers adopté les lunettes de sécurité qui préservent des projections d’eau contaminée dans l’oeil. En complément une vaccination leur a été proposée, et certains l’ont accepté.
Quels autres conseils leur avez-vous donné ?
CW. Il est important que les salariés soient conscients du fait que la leptospirose n’est pas une infection banale. On dénombre 23 sérotypes de Leptospira Interrogans. Parmi elles le sérogroupe Icterohaemorrhagiae est à l’origine des formes les plus sévères de la maladie. Ce sérogroupe est impliqué dans 1/3 des leptospiroses recensées ; Il est identifié dans les 2/3 des cas hospitalisés en France. Les cas graves peuvent évoluer vers une défaillance multiviscérale caractérisée par une insuffisance rénale, une atteinte méningée ou pulmonaire, et un ictère. Dans 20 % des cas elle se complique d’un syndrome hémorragique potentiellement mortel. C’est la raison pour laquelle nous insistons auprès des salariés pour qu’ils consultent immédiatement leur médecin généraliste en cas de fièvre ou de symptôme grippal. Il est essentiel que leur médecin sache que le salarié appartient à une catégorie professionnelle à risque de leptospirose. En effet si un antibiotique est administré rapidement, l’infection peut être jugulée et la guérison peut ne laisser aucune séquelle. Cependant, si on attend trop longtemps -et particulièrement lorsqu’il s’agit de leptospirose Ictérohémorragique-, une hospitalisation s’impose. Les séquelles peuvent être importantes.
Références bibliographiques
1. Rapports d’activité 2017 et précédents du Centre National de Référence de la Leptospirose –Inst. Pasteur Paris
2. Rapport du Groupe de Travail du Conseil Supérieur d’Hygiène Publique en France. Nouvelles recommandations relatives à la prévention du risque chez les personnes exposées à la leptospirose (présenté et adopté lors de la séance du CSHPF du 18 mars 2005)
3. Watrin M. Étude descriptive des cas de leptospirose diagnostiqués en Normandie sur la période 2010-2014. Saint-Maurice : Institut de veille sanitaire ; 2016: 1-28
4. Décret no 2009-1194 du 7 octobre 2009 révisant et complétant les tableaux de maladies professionnelles annexés au livre IV du code de la sécurité sociale
5. Décretn°2007-1121, Journal Officiel du 9/07/07 (Code de la Sécurité Sociale)
6. Adler H, Vonstein S, Deplazes P, Stieger C, Frei R. Prevalence of Leptospira spp. in various species of small mammals caught in an inner-city area in Switzerland. Epidemiol Infect 2002;128:107-9