M. Gérald Guédon,
Directeur Scientifique de Polleniz
(Réseau FREDON-FDGDON Pays de la Loire)
Les piégeurs, bénévoles essentiels dans la prévention de la leptospirose
Chaque année, les piégeurs se mobilisent à travers la France pour lutter contre des espèces exotiques envahissantes ou classées comme susceptibles d’occasionner des dégâts. Parmi elles figurent le ragondin et le rat musqué. Outre leurs impacts sur l’environnement et certaines cultures, elles véhiculent des maladies transmissibles à l’homme, dont la leptospirose, plus connue sous le nom de « maladie des rats ». Régulièrement, des cas sévères ou mortels de leptospirose sont observés en France et parmi les piégeurs. Quel est l’état des lieux en France quant à la répartition de la maladie au sein des populations de ces rongeurs ? Quels sont les risques pour les piégeurs ? Quels moyens mettre en place en termes de prévention pour les piégeurs qui agissent au service de la collectivité, à la fois pour la santé publique et la préservation de l’environnement ?
« Un taux de
prévalence moyen de
la leptospirose de 50%
chez le ragondin en
France métropolitaine. »
Avec 302 000 animaux capturés et 2500 piégeurs actifs rien qu’en Pays de la Loire en 2016, Gérald Guédon, Directeur Scientifique de Polleniz et ancien Directeur de la FREDON Pays de la Loire (Fédération Régionale de lutte et de Défense contre les Organismes Nuisibles), connaît très bien les risques liés aux espèces exotiques envahissantes dont font partie les ragondins et les rats musqués. Aujourd’hui répartis sur la majorité du territoire, la régulation de leur population se pose. Détruisant les berges des cours d’eau et des canaux en zones de marais, l’impact de ces animaux s’observe rapidement dans les milieux qu’ils colonisent : écroulement de berges, dégradation d’ouvrages d’art et de digues, affaissement des chemins de halage, cultures consommées, détérioration de frayères, consommation d’espèces à forte valeur patrimoniale… Mais outre les risques environnementaux, ces espèces sont porteuses de maladies, dont une importante : la leptospirose. Selon une étude menée en 2008 sur 613 ragondins et rats musqués dans plusieurs régions de France métropolitaine, 44,8% d’entre eux étaient positifs à la leptospirose.(1) Plusieurs autres études ont été menées en France ces dernières années : elles ont montré un taux de prévalence moyen de la leptospirose de 50 % chez le ragondin.(2) Le piégeage n’est donc pas sans risque pour le piégeur. Ragondins et rats musqués sont porteurs asymptomatiques (= porteurs sains) de la leptospirose(3) : il est donc impossible pour un piégeur d’identifier si l’animal est atteint de la maladie ou non. Parmi les facteurs de risque de développement chez l’homme, il y a le contact direct avec les animaux infectés, mais aussi le contact avec des végétaux ou une eau souillée par l’urine de ragondins, de rats musqués ou d’autres animaux porteurs comme le campagnol, le rat surmulot ou le renard.(1,4,5) Une simple écorchure, un contact avec les muqueuses ou une peau macérée peuvent suffire à créer une porte d’entrée pour la bactérie et infecter le piégeur.
On peut en guérir après quelques semaines de traitement, si le diagnostic est posé à temps, mais certains en meurent aussi parfois. Comme le souligne Gérald Guédon, « c’est vrai qu’il y a rarement une année sans un décès dans la région. » La forme ictérohémorragique de la maladie, la plus sévère et la plus mortelle dans le monde pour l’homme, représente 2/3 des cas sévères en France métropolitaine(6) : elle provoque notamment des atteintes rénales et hépatiques conduisant le plus souvent en service de réanimation voire jusqu’à la mort. Selon l’étude menée dans plusieurs régions de France en 2008, 77% des ragondins positifs à la leptospirose étaient porteurs du sérogroupe Icterohaemorrhagiae, responsable de la forme la plus sévère et la plus mortelle de la maladie chez l’homme.(1) D’autres études réalisées en France montrent qu’icterohaemorrhagiae est très souvent prépondérant chez le ragondin.(2)
Le saviez-vous ?
Les ragondins et les rats musqués sont classés organismes nuisibles en France, au titre de l’agriculture, selon l’arrêté ministériel du 31 juillet 2000 établissant la liste des organismes nuisibles aux végétaux, produits végétaux et autres objets soumis à des mesures de lutte obligatoire. C’est à ce titre que les piégeurs participent à leur lutte par l’intermédiaire des FDGDON (Fédération Départementale des Groupements de Défense contre les Organismes Nuisibles) et des FREDON (Fédération Régionale de Défense contre les Organismes Nuisibles), ainsi que par les Associations de piégeurs en France (UNAPAF).
Le saviez-vous ?
Plusieurs centaines de cas de leptospirose humaine sont recensés chaque année. De 2014 à 2016, ce sont environ 600 cas par an de leptospirose humaine qui ont été déclarés en France métropolitaine, soit plus d’un cas par jour(10), contre 385 cas en 2013(11). Ce nombre de cas est probablement sous-estimé : en cause, la difficulté du diagnostic clinique et une déclaration non obligatoire de la maladie dans de nombreux pays dont la France.
L’importance de protéger les piégeurs
La presse rapporte régulièrement des cas graves ou mortels de leptospirose humaine parmi les piégeurs, au contact fréquent de ragondins et de rats musqués. Dans la région de l’Aisne en 2012, la leptospirose a fait deux victimes parmi les piégeurs en peu de temps. L’un d’eux s’est fait mordre par un ragondin qu’il croyait avoir tué. Au moment de l’attraper, l’animal s’est retourné et l’a mordu à la main. Dans les 24 heures qui ont suivies, l’homme est décédé.(7) En 2013, un chasseur de gibier d’eau de Gironde décédait des suites d’une leptospirose : une grippe avait été diagnostiquée au départ.(8) Toujours dans l’Aisne, un garde avait contracté la leptospirose. Le diagnostic réalisé de justesse par son médecin, qui connaissait la maladie, avait permis de gagner du temps précieux. L’homme avait toutefois effectué un long séjour à l’hôpital.(9)
Les piégeurs agissent de manière bénévole, à la fois pour la santé publique et la préservation de l’environnement. Ils assurent de ce fait une mission de service public. Comme le souligne Gérald Guédon, les piégeurs prennent leur rôle au sérieux : « c’est pour le bien de la collectivité que les piégeurs agissent, et aussi pour leur plaisir car ils aiment la nature et se sentent utiles dans cette action. » Au contact étroit de vecteurs de la leptospirose, ils sont ainsi confrontés régulièrement au risque d’être contaminé, bien que d’autres maladies soient également transmises par les rongeurs. La formation des piégeurs aux gestes simples de prévention de la leptospirose paraît indispensable. Un engagement fort et soutenu doit être mené auprès d’eux, pour continuer de manière durable à réguler cette espèce et participer de ce fait à la prévention de la leptospirose.
Parce que la leptospirose n’arrive pas qu’aux autres, les familles des victimes rappellent l’importance d’informer sur la maladie, sur ses conséquences et sur l’ensemble des moyens de prévention disponibles. Chaque piégeur doit être conscient du risque et des moyens dont il dispose pour prévenir la maladie. Car les risques sont multipliés lors du piégeage : une activité pratiquée en eau douce, milieu favorable au développement des bactéries responsables de la leptospirose, et un contact étroit avec les rongeurs, principaux vecteurs de la maladie. Gérald Guédon précise : « nous rappelons systématiquement les risques de la leptospirose au sein des FDGDON des Pays de la Loire lors des réunions locales annuelles de nos piégeurs bénévoles ».
Références bibliographiques
1. Aviat F et al. Leptospira exposure in the human environment in France: A survey in feral rodents and in fresh water, Comp Immunol Microbiol Infect Dis (2008), doi: 10.1016/j.cimid.2008.05.004
2. Croizier Pierre. Rôle des ragondins dans l’épidémiologie des leptospiroses en zone humide : exemple de la Dombes. Lyon, France : Université Claude Bernard Lyon 1 ; 2010.
3. Vein Julie. Étude de la place du Ragondin (Myocastor coypus) dans le cycle épidémiologique de la leptospirose et dans la contamination du milieu aquatique en zones humides à partir de deux populations de l’est de la France. Santé publique et épidémiologie. Lyon, France : Université Claude Bernard Lyon 1 ; 2013
4. Fischer et al. Leptospira Genomospecies and Sequence Type Prevalence in Small Mammal Populations in Germany. Vector-borne and zoonotic diseases. 2018.
5. Zmudzki et al. Seroprevalence of 12 serovars of pathogenic Leptospira in red foxes (Vulpes Vulpes) in Poland. Acta Veterinaria Scandinavica. 2018; 60(34) : 1-9.
6. Estavoyer JM et al. Leptospirose en Franche-Comté: données cliniques, biologiques et thérapeutiques. Médecine et Maladie Infectieuses 43. 2013: 379-385
7. Yves-Marie Lucot. « La maladie du rat a déjà tué », Le Courrier Picard, avril 2012.
8. Florence Moreau. « Il meurt après avoir été contaminé par un rongeur », Sud-Ouest, 4 décembre 2013.
9. « La leptospirose tue encore deux fois », Nos chasses « spécial piégeage », novembre 2012.
10. Rapport annuel d’activité 2017 pour l’année 2016 du Centre National de Référence de la Leptospirose – Inst. Pasteur Paris 11. Rapport annuel d’activité 2014 pour l’année 2013 du Centre National de Référence de la Leptospirose – Inst. Pasteur Paris