Édito
La leptospirose est une maladie méconnue du grand public et potentiellement grave, sur laquelle la communauté scientifique reste engagée en France et dans le monde.
Le Centre National de Référence des Leptospires (CNRL) publie chaque année son rapport d’activité qui rassemble les données de diagnostic de l’année d’exercice : incidence et répartition des cas en France.
Le rapport de l’année 2013, édité cet été, fait état de la plus haute incidence en France métropolitaine de ces 10 dernières années alors que, selon le CNRL, cette incidence reste sous-estimée.
Par ailleurs, la disparité entre les régions semble être la preuve d’une sensibilité inégale des professionnels de santé face à la pathologie.
Alexandre LE VERT, Directeur Général IMAXIO
Leptospirose : vecteurs et sérogroupes
En France métropolitaine, en 2013, le Centre National de Recherche des Leptospires de l’Institut Pasteur de Paris a recensé l’incidence des cas de leptospirose la plus élevée de ces dix dernières années (1). Mais quelle leptospirose ? En effet on pourrait parler de leptospiroses tant il y a de diversité dans le genre Leptospira.
Les leptospires font partie du phylum des spirochètes, microorganismes qui possèdent des caractéristiques uniques dans le monde bactérien : spiralés et dotés d’un organe locomoteur interne, l’endoflagelle, ils sont très mobiles même dans les milieux les plus visqueux. Ce sont des bactéries très répandues dont les genres pathogènes sont à l’origine de maladies humaines telles que la maladie de Lyme, la syphilis, ou encore la leptospirose.
On divise généralement le genre Leptospira en deux groupes : Leptospira biflexa, souches saprophytes et aquicoles, et Leptospira interrogans, souches pathogènes. A ce jour la littérature a décrit 21 espèces de leptospires et plus de 300 sérovars regroupés en une vingtaine de sérogroupes, une classification toujours en évolution(1).
21 espèces de leptospires et plus de 300 sérovars regroupés en une vingtaine de sérogroupes
Si on peut recenser un très grand nombre de sous-ensembles, il semble cependant que certains sérogroupes du genre Leptospira interrogans soient davantage présents chez certaines espèces porteuses. Ainsi, par exemple, en France le sérogroupe australis semble se retrouver majoritairement chez les bovidés, le sérogroupe canicola chez les canidés, tandis que les rongeurs, les ovins et les porcins sont, entre autres, les porteurs privilégiés du sérogroupe icterohaemorrhagiae(2). Et si les mammifères sont le plus souvent cités, certaines études ont mis en évidence la présence d’anticorps contre les leptospires chez certains reptiles (serpents, lézards, tortues)(3).
Certaines espèces sont dites porteuses saines, répandant les bactéries dans l’environnement via leurs urines mais ne manifestant aucun signe clinique de l’infection, comme les rats par exemple ; d’autres peuvent présenter des signes cliniques mais ceux-ci sont très variés, comme c’est notamment le cas pour les animaux d’élevage et l’Homme, hôte accidentel de la bactérie. Ainsi le cheval peut développer des affections localisées, subaïgues ou chroniques comme les uvéites récidivantes(4), la leptospirose peut également être à l’origine d’avortements ou d’arrêts brutaux de la production de lait chez les bovins(5), etc.
L’épidémiologie humaine de la maladie est en grande partie fonction du réservoir, c’est-à-dire de la faune locale, déterminant les souches circulantes au sein d’une région. Mais pas seulement. Certaines régions présentent des particularités comme Mayotte où le sérogroupe le plus représenté est le sérogroupe mini tandis qu’il est très peu représenté sur les autres îles environnantes et dans le reste du monde(6).
Cependant la répartition des sérogroupes dans les cas d’infections humaines reste très mal connue dans de nombreux pays du fait de la difficulté à poser un diagnostic et des moyens nécessaires à l’identification de la souche en cause. En effet les centres de référence qui pratiquent le test MAT et surveillent les données épidémiologiques locales restent très peu nombreux de par le monde(1).
Des études ont établi
qu’il existait un lien étroit
entre les souches
du sérogroupe Ictéro
et la sévérité de la maladie
Références bibliographiques :
(1) Rapport d’activité 2013, Centre National de Référence des Leptopsires, Institut Pasteur Paris
(2) Rapport d’activité 2010, VetagroSup, Ecole Vétérinaire Lyon
(3) Lindtner-Knific R. et al., Prevalence of antibodies against Leptospira sp. in snakes, lizards and turtles in Slovenia, Acta Veterinaria Scandinavica, 2013 ; 55-65
(4) Hartskeerl R. et al, Classification of Leptospira from the Eyes of Horses Suffering from Recurrent Uveitis, Journal of Veterinary Medicine, April 2004 ; Volume 51 (Issue 3) : pages 110–115
(5) Gaumont R., La leptospirose chez le bétail en Europe, Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 1983 ; 57-63
(6) Desvars A. et al, Similarities in Leptospira Serogroup and Species Distribution in Animals and Humans in the Indian Ocean Island of Mayotte, Am. J. Trop. Med. Hyg., 2012 ; 87(1) : pp. 134–140
(7) Hartskeerl R. et al., Emergence, control and re-emerging leptospirosis :dynamics of the infection in the changing world, Clinical Microbiology and Infection, 2011 ; vol 17 : 494-501
Chez l’Homme, parmi l’ensemble des sérogroupes pathogènes circulants, des études ont établi qu’il existait un lien étroit entre les souches du sérogroupe ictero et la sévérité de la maladie. Le sérogroupe icterohaemorrhagiae, dont le vecteur principal est le rat, est le plus représenté en Europe et notamment en France où la pathologie est surveillée par le Centre National de Référence des Leptospires de l’Institut Pasteur de Paris. Chaque année, le rapport d’activité du CNR fait état de la part des cas de leptospirose humaine dus à chaque sérogroupe :
Ainsi le sérogroupe ictero reste le principal sérogroupe en cause aux alentours de 30% des cas chaque année et jusqu’à 79% dans les DOM COM(1). D’autres sérogroupes peuvent être à l’origine de formes graves, cependant 90% des dyalises et 75% des cas d’oliguries chez les patients atteints de leptospirose sont dus à icterohaemorrhagiae(7).
Interview
Pr Mathieu PICARDEAU, Responsable du Centre National de Référence des Leptospires de l’Institut Pasteur de Paris
On peut lire communément que l’incidence de la leptospirose est estimée à 500 000 cas par an dans le monde, ce chiffre reflète-t-il la réalité ?
Mathieu PICARDEAU. Les derniers chiffres de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) estime à plus d’un million le nombre de cas de leptospirose dans le Monde. Il s’agit d’extrapolation des données issues des bases bibliographiques et des services gouvernementaux. La leptospirose touche avant tout les populations marginalisées dans les pays tropicaux. Cependant, les données sont parcellaires pour certaines régions, notamment en Afrique où, en absence de centre de Référence pratiquant le diagnostic de la leptospirose, peu de cas sont reportés.
Comment peut-on expliquer une telle disparité dans l’incidence de la maladie en fonction des régions en France?
MP. En France, on observe une disparité du nombre de cas au niveau régional mais aussi en fonction des années. Ces disparités s’expliquent en grande partie par l’intérêt que suscite localement la leptospirose, plutôt que par des expositions différentes aux facteurs de risque. Cet effet de sensibilisation des médecins à la maladie est accentué par le faible nombre de cas détectés tous les ans (environ 300 cas en France métropolitaine).
Avez-vous constaté une évolution dans le cadre d’exposition en cause dans les cas de leptospirose recensés ces dernières années? Si oui, quelles explications possibles ?
MP. En absence de données épidémiologiques pour la majorité des cas identifiés en France, il est difficile de constater une évolution. On peut cependant observer que ces dernières années, les expositions suite à des activités de loisirs (sports aquatiques) sont plus fréquentes et que la leptospirose a disparu chez certaines catégories professionnelles à risque telles que les égoutiers, en raison des moyens de prévention mis en place. Il ne faut pas négliger les cas de leptospirose contractés lors de séjour dans des régions endémiques (Amérique Latine, Antilles, Asie du Sud-Est) qui peuvent représenter jusqu’à 30% des cas dans certains pays européens.
Quelles sont les initiatives nationales et internationales de réflexion et de lutte contre la leptospirose auxquelles l’Institut Pasteur participe ?
MP. Le Laboratoire de l’Institut Pasteur est Centre National de Référence et Centre Collaborateur de l’OMS de la leptospirose. A ce titre, notre principale mission est la surveillance épidemiologique de la leptospirose en France métropolitaine et dans les territoires d’Outre Mer. Nous avons ainsi développé des collaborations internationales notamment aves les régions où la leptospirose est endémique comme les Antilles (Martinique, Guadeloupe) ou les îles de Mayotte et de La Réunion. Nous essayons de mieux connaître les souches qui circulent dans ces régions afin d’optimiser les outils de diagnostic et mieux comprendre l’épidémiologie de la maladie. La formation aux techniques de diagnostic est aussi une activité importante du laboratoire qui permet de mettre en place le diagnostic de la leptospirose dans des régions où l’incidence de la leptospirose n’est pas connue.
Le CNRL a pour mission la surveillance épidémiologique de la leptospirose humaine au niveau national
Le Centre National de Référence des Leptospires de l’Institut Pasteur de Paris
Le Centre National de Recherche des Leptospires de l’Institut Pasteur a été créé en 2004 et fait partie de l’Unité de Biologie des Spirochètes qui mène un travail de recherche sur la mise en valeur des facteurs de virulence des leptospires et le développement d’outils génétiques à cet effet.
Le CNRL a pour mission la surveillance épidémiologique de la leptospirose humaine au niveau national en collaboration avec l’InvS (Institut de Veille Sanitaire) et la DGS (Direction Générale de la Santé). Ainsi, chaque année, l’équipe composée de cinq personnes analyse plus de 4 000 échantillons pour diagnostic en première intention, principalement en provenance des Centres Hospitaliers, puis rapporte auprès des autorités la survenue de cas groupés. L’InVs et l’ARS (Agence Régionale de Santé) prennent alors le relais pour réaliser une enquête auprès des personnes infectées et mettre en place les mesures sanitaires adéquates.
Pour suivre l’endémie de la maladie, deux tests de diagnostic sont effectués : un test ELISA développé en interne par le CNR et le test MAT, test de référence de la leptospirose. Le MAT est le seul test qui permet la détermination du sérogroupe, mais il nécessite l’entretien d’un grand nombre de souches vivantes. C’est pourquoi aujourd’hui en France seuls trois autres laboratoires peuvent le proposer. Le CNRL reçoit chaque année une centaine d’échantillons supplémentaires pour identification de la souche responsable de l’infection une fois le diagnostic posé par le praticien. Ces deux tests sont nécessaires pour confirmer le diagnostic, d’une part, et pour connaître les souches circulantes ainsi que leur évolution. Grâce à ces informations les outils de diagnostic peuvent être adaptés au fil du temps en fonction de l’épidémiologie des régions. Mme Bourhy, Responsable Adjointe du CNRL insiste sur l’importance de cette cartographie qui permet de mieux comprendre la maladie et de constater l’émergence de nouveaux sérogroupes, comme ce fut le cas notamment à Mayotte où le diagnostic de la maladie a pu être optimisé en fonction de sa spécificité.
Au niveau mondial, le CNRL fait également partie des sept Centres Collaborateurs de l’OMS, avec pour mission la contribution aux recherches épidémiologiques et la conservation des souches types de Leptospira et des antisérums spécifiques pour le développement d’outils diagnostic en cas d’épidémie.
Nous tenons à remercier Mme Bourhy pour son aide précieuse lors de la rédaction de cet article.
Agenda :
2 octobre 2014
Demi-journée d’information sur la leptospirose,
Chambéry
16 au 18 avril 2015
Rassemblement European Leptospirosis Society, Royal Tropical Institute,
Amsterdam
22 au 24 avril 2015
Journées Scientifiques Européennes des SDIS,
Pont du Gard
27 au 29 mai 2015
Les 33e Journées Santé Travail BTP,
Limoges